Économie 101

Trio d'entrevues avec Martin Masse, directeur du Québécois Libre, au sujet de la crise financière américaine:







Gracieuseté du quotidien suisse Le Temps, la version française de l'excellente analyse de Masse initialement parue dans le Financial Post ("Bailout marks Karl Marx's comeback") et reprise par plusieurs médias américains:


Source:
Le Temps
Date de parution:
8 octobre 2008
Auteur:
Martin Masse


Ces libéraux qui oublient les principes de marché!

Des analystes réputés pour défendre habituellement des politiques économiques libérales, de même que des commentateurs du Wall Street Journal et d'autres journaux prestigieux, semblent renier leurs positions traditionnelles ces derniers temps. Ils se sont prononcés en faveur d'injections massives de liquidités dans les marchés par les banques centrales, de la prise de contrôle par le gouvernement américain d'institutions financières géantes, ainsi que du plan de sauvetage de 700 milliards de dollars qui vient d'être voté.

A première vue, quiconque comprend le fonctionnement d'une économie de marché peut facilement voir que quelque chose ne tourne pas rond dans ces positions. Les impôts qui devront être prélevés pour financer ce plan permettront sans doute de maintenir certaines compagnies à flot, mais ils détourneront des capitaux, tueront des emplois et rendront des entreprises moins rentables ailleurs dans l'économie. Accroître la masse monétaire a le même effet. Il s'agit d'une taxe invisible qui redistribue les ressources à ceux qui ont accumulé des dettes et qui ont fait de mauvais placements.

La justification pour intervenir semble toujours s'appuyer sur la peur de revivre la Grande Dépression. Si nous laissons trop d'institutions s'effondrer pour cause d'insolvabilité, nous dit-on, il y a risque d'un effondrement généralisé des marchés financiers, ce qui entraînerait un assèchement complet des flux de crédit et des effets catastrophiques sur tous les secteurs de la production. Cette opinion se fonde sur la thèse de Milton Friedman selon laquelle la Réserve fédérale aurait provoqué la Dépression en n'injectant pas suffisamment d'argent dans le système financier suite au krach de 1929.

C'est une position qui semble, au premier abord, s'appuyer sur des arguments plutôt libéraux. Les politiques malavisées de la Fed, une créature de l'Etat, de même qu'une mauvaise réglementation imposée au secteur financier, seraient responsables de la crise. La nécessité de répondre à cette situation d'urgence et de maintenir le bon fonctionnement des marchés prennent la priorité sur les préoccupations concernant le fardeau fiscal et l'inflation monétaire. Cette approche est censée se distinguer de celle des keynésiens, qui proposent étrangement les mêmes solutions même si leur analyse des causes de la crise est différente.

Il existe cependant une autre approche qui respecte les principes du libre marché et qui explique de manière cohérente pourquoi nous nous retrouvons constamment dans ces situations de bulle financière suivie d'un effondrement.

Depuis des décennies déjà, les économistes de l'école autrichienne nous mettent en garde contre les conséquences néfastes d'avoir un système de banque centrale fondé sur une monnaie fiduciaire, c'est-à-dire une monnaie qui ne s'appuie sur aucune contrepartie métallique comme l'or et qui peut facilement être manipulée. En plus de ses désavantages évidents (hausses constantes des prix, dépréciation de la monnaie, etc.), ce système se caractérise par un crédit facile et des taux d'intérêt maintenus artificiellement bas, ce qui envoie des signaux faussés et exacerbe les cycles économiques. Non seulement la banque centrale crée-t-elle constamment de l'argent à partir de rien, mais le système de réserves fractionnaires permet aux institutions financières d'augmenter encore plus la quantité de crédit qui circule dans l'économie. Lorsque la création monétaire est soutenue, une bulle financière émerge qui se nourrit d'elle-même, des prix plus élevés permettant aux propriétaires de titres gonflés de dépenser et d'emprunter davantage, ce qui amène une création additionnelle de crédit, fait grimper encore les prix, et ainsi de suite.

A mesure que les prix deviennent de plus en plus faussés, des malinvestissements, soit des investissements qui n'auraient pas été faits dans les conditions normales du marché, finissent par s'accumuler. Malgré cela, les institutions financières ont une incitation à embarquer dans cette frénésie d'endettement irresponsable, sinon elles pourraient perdre des parts de marché. La surabondance de «liquidités» fait en sorte que des décisions de plus en plus risquées sont prises dans le but d'accroître les rendements.

Durant cette phase de spéculation exacerbée, tout le monde semble croire que le boom se poursuivra indéfiniment. Les seuls qui prédisent que cela finira mal sont les Autrichiens, comme Friedrich Hayek et Ludwig von Mises l'ont fait avant le krach de 1929, et leurs disciples au cours des dernières années.

Que doit-on faire lorsque ce château de cartes commence à s'effondrer? Il est évident que le crédit va s'amenuiser. Les malinvestissements doivent être liquidés; les prix doivent retomber à des niveaux plus réalistes; et les ressources engagées dans des projets improductifs doivent être libérées et transférées à des secteurs où il existe une demande réelle. Ce n'est qu'à ce moment que les capitaux redeviendront de nouveau disponibles pour des investissements profitables.

Les partisans de Milton Friedman, qui n'ont jamais développé de notion de malinvestissement et qui ne soulèvent jamais de préoccupations pendant le boom, ne comprennent pas non plus pourquoi il mène inévitablement à un krach. Ils ne voient que l'assèchement du crédit et blâme la Fed de ne pas avoir suffisamment injecté de liquidités pour le prévenir.

Il faut toutefois comprendre que les banques centrales et les gouvernements n'ont pas le pouvoir de transformer des investissements non rentables en investissements rentables. Ils ne peuvent forcer les institutions à prêter davantage alors qu'elles sont dans une situation aussi précaire. C'est pourquoi lancer de l'argent sur le problème ne règle absolument rien. Les injections de liquidités par la Fed ont débuté il y a plus d'une année et n'ont aucunement réussi à empêcher une détérioration de la situation. De telles mesures n'ont pour effet que de retarder les réajustements du marché et de transformer ce qui devrait être une courte récession en marasme prolongée.

Friedman avait non seulement une compréhension déficiente des cycles économiques, mais il avait tort en affirmant que la Fed n'était pas suffisamment intervenue durant la Dépression. Elle a tenté à plusieurs reprises de gonfler la quantité de crédit, mais celle-ci a tout de même diminué pour différentes raisons. Il s'agit là d'une différence d'interprétation cruciale entre les écoles autrichiennes et de Chicago.

La confusion entourant les questions monétaires dans les théories de l'école de Chicago est telle qu'elle pousse aujourd'hui ses partisans à appuyer la plus gigantesque appropriation de capitaux privés par un gouvernement dans l'histoire du monde.

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